Les jeux vidéo de compétition (communément appelés e-sport) font parler d’eux, souvent en référence aux jeux vidéo dans le sens large du terme, mais, plus récemment, pour leur présence dans les programmes éducatifs qui les intègrent et les nombreuses compétitions qui attirent les foules. Le e-sport fait partie d’une tendance mondiale aux enjeux multiples et complexes. Il importe donc de s’intéresser aux tendances mondiales à ce sujet, aux liens entre le sport et le e-sport, à son potentiel éducatif, aux enjeux de santé soulevés par ce type d’activité et de son potentiel économique.
Une tendance mondiale
La démocratisation de l’internet et des appareils électroniques qui y sont connectés ont contribué au développement et à la popularité des jeux électroniques (Atalay et Topuz, 2018). Afin de mieux comprendre l’ampleur du phénomène des jeux vidéo, le Championnat du monde du jeu League of Legends, qui a été tenu en 2016 et qui a été vu par près de 43 millions de spectateurs, est un exemple parmi tant d’autres (Rothwell et Shaffer, 2019). Que se passe-t-il lors de ces compétitions de e-sport?
Les jeux vidéo joués sont variés et, à ce jour, les genres populaires comprennent des jeux de combat (p. ex., Street Fighter IV), des jeux de tir à la première personne (p. ex., Counter-Strike), des jeux de stratégie en temps réel (p. ex., StarCraft II), des arènes de combat multi-joueurs en ligne (p. ex., League of Legends) et des jeux vidéo de sport (p. ex., FIFA 17). Également, le e-sport comprend à la fois des jeux individuels et en équipe (p. ex., des équipes de cinq concurrents s’affrontent face à face). Quant au modèle organisationnel prédominant pour les e-sport, il est centré sur des événements compétitifs ayant des audiences en direct, en ligne et diffusées (Funk, Pizzo et Baker, 2018), par exemple sur la plateforme de webdiffusion Twitch, (Anderson, Tsaasan, Reitman, Lee, Wu, Steel, Turner et Steinkuehler, 2018).
Du sport au e-sport
Les préoccupations croissantes quant à la dégradation de la santé physique à la fin du 19e et au début du 20e siècle ont amené les enseignants, les professionnels de la santé et les politiciens à miser sur l’instauration de l’activité physique dans les écoles et dans les espaces publics, ainsi qu’à un financement accru d’infrastructures (construction de stades, terrains, gymnases, terrains de jeux, etc.) (Borowy, 2012). Parallèlement à ces développements, le lien entre les sports et les médias s’est accentué au fil des années étant donné notamment la médiatisation et la commercialisation des Jeux olympiques, des finales de coupe du monde de soccer et du Super Bowl (ibid.).
On peut considérer le e-sport comme une extension du sport représenté numériquement dans lequel les gens développent et entrainent des habiletés mentales et physiques par l’utilisation des TIC (Bányai, Griffiths, Király, Demetrovics, 2019). Le e-sport bouscule toutefois certaines de nos conceptions relatives au sport. Une partie de l’attention autrefois réservée aux sports traditionnels c’est, avec le temps déplacé vers le e-sport. En effet, par exemple, le e-sport a dépassé le hockey sur glace en nombre de spectateurs en 2015 et, en 2017, l’industrie du jeu vidéo a généré un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard de dollars, ce qui amène les grandes organisations et les équipes sportives à s’intéresser de plus en plus au e-sport (Bobergs gymnasiet, 2019).
Il y a de nombreuses similarités entre le sport et le e-sport (lieu de diffusion, règles, budget, etc. (Bányai et coll., 2019) et il est possible de rencontrer dans le e-sport les mêmes difficultés que dans le sport en général : matchs truqués, doping, discrimination par le genre (Funk et coll., 2018). Cependant, tous les spécialistes ne sont pas favorables à l’idée de considérer le e-sport comme un sport. Selon des études précédentes, Caillois (2001, cité dans Bányai et coll., 2019) soutient que le jeu compétitif en général a un impact négatif sur les personnes et la société lorsque le jeu en tant qu’activité gratuite devient une activité professionnelle. Le principal argument contre le sport électronique en tant que forme de sport repose sur son manque perçu de caractère physique. Toutefois, les sports équestres et les sports motorisés sont tous deux largement considérés comme des sports, mais impliquent sans aucun doute l’intégration d’activités non humaines (Borowy, 2012; Jonasson, 2016, cité dans Funk et coll., 2018). Semblables à diverses disciplines de tir (une discipline présente aux Jeux olympiques), les aptitudes physiques requises pour l’e-sport reposent sur des mouvements moteurs fins plutôt que bruts. Les deux requièrent toutefois des compétences physiques complexes (Gawrysiak, 2016; Jenny et al., 2017, cité dans Funk, et coll., 2018). Dans l’e-sport, et contrairement aux jeux d’échecs ou de poker, ces compétences (ainsi que la stratégie) influencent directement le résultat de la compétition (ibid.). Ces mouvements, mesurés en actions par minute (APM), nécessitent une dextérité manuelle et sont corrélés de manière significative et positive avec les performances en e-sport (Lewis, Trinh et Kirsh, 2011, cité dans Funk et coll., 2018). Les athlètes professionnels de l’e-sport peuvent régulièrement exécuter entre 400 et 500 APM, tandis que les joueurs novices affichent une moyenne d’environ 50 APM (Wong, 2016, cité dans Funk et coll., 2018). Cependant, Candy Crush, par exemple, manque de mécanique de jeu compétitive et ne remplit donc pas les conditions préalables du sport (Funk et coll., 2018). Les jeux vidéo basés sur le sport, tels que FIFA 17 ou Madden NFL 17, sont des représentations virtuelles du sport traditionnel. Cependant, sans tournois, événements ou ligues officiels, ces jeux ne sont pas qualifiés de sports, car ils ne répondent pas aux critères de structure, d’organisation et d’institutionnalisation. En revanche, les sports électroniques tels que League of Legends ou Counter Strike ont des systèmes de classement formels, des matches pour joueurs basés sur leur niveau de compétence et des matches aboutissant à des gagnants et des perdants définitifs.
Avec la popularité croissante des jeux électroniques et l’émergence du e-sport, Hutchins (2006) relève que les médias ont toutefois de la difficulté à présenter les jeux vidéo et ses joueurs de manière à créer un consensus, préférant comparer les jeux vidéo aux échecs et présenter les joueurs de e-sport comme des combattants d’un monde virtuel plutôt que comme des athlètes. Pour bien présenter le phénomène du e-sport et dépasser ces représentations réductionnistes, il est nécessaire de penser le sport COMME média plutôt que le sport ET les médias. Ainsi, le terme e-sport représente une dichotomie entre les sports « classiques » et les sports modernes. Nous pouvons comparer cette distinction que marque le e-sport à la communication (une conversation traditionnelle en face à face) via un téléphone portable ou une vidéoconférence via Skype : un progrès technologique appliqué aux activités humaines naturelles (Hilvoorde, 2016).
Le e-sport en éducation
Comme le démontre ces témoignages d’éducateurs de 11 programmes de e-sport danois, les attentes envers le e-sport peuvent être nombreuses et il y a différentes manières de les aborder (Lieberoth et Fiskaali, 2018) :
- « Nous apprenons maintenant à nous concentrer davantage sur les objectifs de formation: techniques, stratégie, collaboration en matière de communication. »;
- « Nous attirons soudainement plus d’élèves surdoués qu’habituellement. »;
- « Adapter les programmes de e-sports aux normes nationales est un défi. »;
- « Nous traitons cela comme n’importe quel sport d’élite. »;
- « Nous avions besoin de temps pour convaincre les parents qu’il s’agissait d’une activité scolaire légitime. »;
- « Nous avons compris qu’il fallait mettre davantage l’accent sur la formation et moins de jeu. »;
- « Nous rétrogradons maintenant les étudiants de l’équipe d’élite s’ils ne suivent pas le travail en classe. »;
- « Nous voulions quelque chose pour les garçons. ».
Certains établissements d’enseignement ont notamment décidé d’offrir des programmes d’études. Par exemple, à Montréal, la Montreal E-sports Academy a lancé le premier programme 100% d’études en sports au Canada (Montréal Académie e-sports, 2018) en présentant que ce programme apporte les mêmes avantages pour les participants que les programmes sportifs traditionnels : amélioration de la santé physique et psychologique, socialisation, renforcement du sentiment d’appartenance (esprit d’équipe), etc. Pour les étudiants, la possibilité d’être encadré par une organisation éducative peut signifier l’accès à :
- Des locaux spécialement équipés à partir desquels les joueurs peuvent s’entraîner et concourir.
- De l’accompagnement pour une pratique de jeu vidéo saine et structurée.
- Des méthodes novatrices pour le développement des joueurs.
- Des conférences au sujet du e-sport (Bobergs gymnasiet, 2019)
Du point de vue des apprentissages, avec une supervision pédagogique adéquate, le e-sport peut être utilisé pour le développement d’éléments spécifique de la littératie numérique et des compétences comportementales (aussi appelées soft skills). Ce développement est notamment possible puisque les jeux contiennent parfois des marqueurs de réussite en relation avec les habiletés que les joueurs démontrent, p. ex., gagner une manche contre 5 ennemi(e)s en moins de 30 secondes (Alloza, 2017). Par exemple, dans le jeu Counter Strike, le rythme est élevé, ce qui demande une vitesse de raisonnement rapide. Également, ce rythme demande de développer des habiletés de gestion du stress puisque le joueur doit demeurer calme, comme le démontrent les témoignages d’étudiants :
- «Je peux facilement reconnaître les situations qui me rendent stressé ou bouleversé. »;
- «Je peux me tenir et réexaminer mes pensées pour obtenir une nouvelle perspective. »;
- « Je peux utiliser des techniques de relaxation musculaire pour réduire le stress que je subis. »
- « Je peux demander de l’aide aux gens dans ma vie quand j’ai besoin d’eux. ».
Pour être considéré comme un athlète, il a été souligné que les joueurs de e-sport doivent : (a) avoir une grande connaissance du jeu vidéo; (b) penser de manière stratégique et prendre des décisions rapides et intelligentes; (c) être motivés pour continuer à avancer; (d) pouvoir séparer le quotidien de la performance; (e) éviter de rester distraits et rester concentrés; (f) faire face au harcèlement de manière adaptative; (g) maintenir une attitude positive; et (h) s’échauffer avant leurs joutes que ce soit physiquement ou mentalement (Anderson et coll., 2018). Également, afin d’obtenir des performances optimales, les joueurs devraient pouvoir adapter leurs adversaires, communiquer correctement avec leurs coéquipiers et faire confiance à leurs compétences.
Des enjeux de santé
Les joueurs de e-sport, tout comme les athlètes de sports traditionnels, sont susceptibles de développer des blessures. Selon Balentine et Schmidt (2019), la plainte la plus courante liée chez les athlètes de e-sport serait la fatigue oculaire et les maux de cou, de dos, de poignet et de main. Lors d’une étude, ils ont relevé que quarante pour cent des athlètes de e-sport interrogés n’ont participé à aucune forme d’activité physique et que le temps passé devant un ordinateur en moyenne pour une compétition de e-sport était de 5,5 à 10 heures par jour (ibid.). Également, l’impact à long terme sur le cerveau de l’exposition prolongée aux écrans doit encore être étudié (Board, 2019). Les obstacles possibles à la performance ont également été identifiés. Ces obstacles sont liés aux éléments de performance optimale, tels que les problèmes de confiance en soi, les stratégies d’adaptation inadéquates à l’anxiété, les réalisations et les erreurs passées, le harcèlement, le manque de développement personnel et personnel (connaissance du jeu, dynamique de l’équipe, communication en équipe, communication individuelle, etc.) et la difficulté à séparer la vie et les jeux (Bányai et coll., 2019). Alors qu’une compagnie vend des appareils pour soi-disant favoriser la plasticité du cerveau et devenir meilleur, bien que cela pourrait surmonter d’éventuels obstacles à la performance, il va sans dire que surstimuler son cerveau à l’aide d’appareil pourrait créer des dommages à long terme (Santarnecchi, Feurra, Galli, Rossi et Rossi, 2013). Au-delà des enjeux liés aux aspects compétitifs et monétaires des jeux vidéo, afin de s’assurer que le e-sport ne présente de risque pour la santé, certains considèrent que des solutions doivent être mises en place afin de prévenir les problèmes de santé liés au e-sport. Par exemple, on pourrait penser à des guides de pratique clinique afin d’amener les médecins du sport et d’autres professionnels de la santé à mieux comprendre les besoins médicaux de ces athlètes ou même à inclure le e-sport dans le programme de médecine du sport clinique (Balentine et Schmidt 2019).
Économie et emploi
Certains jeux vidéo demandent des habilités et des connaissances qui rejoignent celles de secteurs d’emploi qui sont non seulement de l’industrie du jeu vidéo, mais aussi dans les sciences des données, les logiciels, le développement web, le marketing dans les médias sociaux et l’organisation d’événements (Anderson et coll., 2018). Avec ses valeurs économiques et sociales, l’e-sport est devenu un argument important dans les programmes d’enseignement. En fait, l’e-sport a été inclus dans les programmes d’enseignement principalement dans les pays asiatiques, ainsi qu’aux États-Unis, en Suède et en Norvège et a également été inclus dans de nombreux programmes de bourses d’études (Atalay et Topuz, 2018). Dans certains cas, des investissements financiers ont été réalisés afin d’aménager des salles de e-sport (Christian, 2016). Alors que les montants investis viennent parfois des établissements eux-mêmes, un ministère peut être appelé à contribuer (p. ex., en Malaysie, le ministère de la Culture a contribué au financement d’une plateforme qui a été créée pour soutenir le e-sport (Kosmo Online, 2018).
Les recherches empiriques citées dans l’analyse de Kim et Thomas (2015) montrent que les joueurs de sport peuvent être motivés pour devenir des professionnels via des récompenses à la fois extrinsèques et intrinsèques. De plus, jouer à des jeux vidéo de manière plus compétitive ne permet pas de le définir comme une activité de travail ou de loisirs. Par conséquent, des recherches sont également nécessaires pour examiner dans quelle mesure les joueurs adolescents considèrent désormais leurs jeux vidéo comme un choix de carrière plutôt que comme une simple activité de loisir. Compte tenu de l’attrait croissant de l’e-sport, il est probable que de plus en plus d’adolescents verront le jeu comme une activité leur permettant de gagner leur vie (Bányai et coll., 2019). Les joueurs peuvent également maintenant rêver de représenter leur pays dans le e-sport, mais la poursuite de ce rêve peut mener à l’épuisement, à l’addiction et à la détresse psychologique (Board, 2019).
Un appel au dialogue
Face à une situation totalement nouvelle, nous avons tendance à nous attacher aux objets ou à la saveur du passé la plus récente, ce qui nous amène à regarder le présent à travers un rétroviseur et à reculer dans le futur (Hutchins, 2008). Le e-sport permet d’aborder les changements. Alors que nous pouvons nous préoccuper des répercussions négatives du e-sport sur la société, s’y intéresser permet de débattre à propos de nouveaux concepts tels que le sport électronique, ce qui s’avère nécessaire afin de refléter correctement la réalité. Pour ce faire, l’importance des jeux, des médias et de la culture doit être soulevée et correctement comprise par toutes les parties prenant part au dialogue.
Références
Alloza, S. (2 novembre 2017). Improve your soft skills playing Counter Strike video game. Repéré à https://gecon.es/soft-skills-counter-strike/
Anderson, C., Tsaasan, A.M., Reitman, J., Lee, J. S., Wu, M., Steel, H., Turner, T., Steinkuehler, C. (2018). Understanding E-sports as a STEM Career Ready. Curriculum in the Wild. 1-6. DOI : 10.1109/VS-Games.2018.8493445
Atalay, A., Topuz, A. C. (2018). What Is Being Played in the World? Mobilee-sport Applications. Universal Journal of Educational Research. 6(6): 1243-1251. DOI: 10.13189/ujer.2018.060615
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