L’évaluation définit partiellement le contenu d’une formation et fait partie de l’ensemble des constituants d’un curriculum (les programmes d’études, la grille-matières, etc.) (OQLF, 2007). Alors que l’on peut définir l’évaluation comme une « démarche permettant de porter un jugement, à partir de normes ou de critères établis, sur la valeur d’une situation, d’un processus ou d’un élément donné, en vue de décisions pédagogiques ou administratives (OQLF, 2004) , étymologiquement, le mot « curriculum » commence par un mot latin currere qui signifie « une course » ou « le déroulement d’une course » (« Curriculum », 2019). À tort, en éducation, l’évaluation est parfois perçue comme la ligne d’arrivée d’une course.
Bien que l’évaluation soit intégrée dans notre système scolaire, les conceptions à ce sujet peuvent être différentes d’un individu à l’autre et susciter des réflexions (p. ex., comparaison de l’évaluation à un simple système de mesure de la performance, un appel à une refonte du bulletin scolaire « pour mettre fin au “bourrage de crâne” et à la “logique de concurrence” » (Fortier, 2019)). Sujet complexe et polarisant, l’évaluation peut être abordée sous différents angles, dont ceux du renouveau pédagogique à la formation générale des adultes (FGA), de l’évaluation en aide à l’apprentissage, de la compétence enseignante à évaluer, de la formation continue et du potentiel apport des technologies numériques.
Le renouveau pédagogique
Le remplacement de l’ancien curriculum de la FGA par un curriculum structuré autour de compétences, avec la formation de base commune (FBC) et la formation de base diversifiée (FBD), « introduit un changement fondamental du point de vue des objets d’enseignement et d’apprentissage et de leur évaluation » (Nizet et Leboeuf, cité dans Doucet et Thériault, 2019, p. 92). Le renouveau appelle donc à un changement de paradigme de l’apprentissage, de changer les lunettes avec lesquels nous portons un regard sur l’évaluation, et, par la même occasion, de l’enseignement. Parfois, « ce nouveau contexte suscite un inconfort » (Baribeau et coll., cité dans CSÉ, 2018, p. 29) notamment en raison d’ambiguïtés qui doivent être abordées par les acteurs de l’éducation, ambiguïtés qui, on le sait, font partie des aléas de toute réorganisation du travail (Drolet, 2018).
Afin que ce changement de paradigme s’opère, un accompagnement des enseignants (et des autres employés qui gravitent autour d’eux) a été organisé par différentes instances du système scolaire à l’échelle locale (p. ex., à l’intérieur des centres d’éducation des adultes), régionale (p. ex., au sein des commissions scolaires) ou nationale (p. ex., par des associations professionnelles comme l’AQIFGA). En vue de préparer les enseignants à oeuvrer en accord avec le nouveau curriculum, l’accompagnement peut notamment avoir porté l’évaluation de fin de cours pour que l’évaluation se transpose aussi dans les apprentissages en lui conférant un rôle de fonction d’aide à l’apprentissage.
L’évaluation en aide à l’apprentissage
Comme je l’écrivais dans un texte publié le 13 février 2019 (Lacasse, 2019), la rétroaction est reconnue internationalement comme un des facteurs ayant le plus d’influence sur la réussite de l’élève (Hattie, 2017; OCDE, 2013). Bien que les résultats de l’évaluation en aide à l’apprentissage ne contribuent pas directement à la sanction des études, selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) (2018) :
« L’évaluation comme aide à l’apprentissage vise à optimiser l’interaction entre les processus d’enseignement et d’apprentissage (…). L’évaluation en cours d’apprentissage permet de suivre la progression vers le but d’un cours (…). L’information recueillie en cours d’apprentissage permet à l’adulte et aux enseignants de mener des actions de régulation qui se traduisent par une recherche explicite de réussite pour l’adulte » (p. 40).
En d’autres mots, les processus d’enseignement et d’apprentissage liés à l’évaluation en aide à l’apprentissage et dans lesquels sont engagés l’enseignant et l’apprenant permettent de réguler leurs actions dont l’objectif est la réussite de l’élève. Pour illustrer ce propos, prenons, encore une fois, un exemple présenté dans ce texte publié le 13 février 2019. Par exemple, un enseignant pourrait amener un élève inscrit au cours Découvrir le roman québécois (FRA-4101-2) et qui est rendu à l’étape de la planification de son écriture, à adapter les étapes de son écriture en comparant sa planification avec celle de ses pairs et en tenant compte de leurs rétroactions (MEES, 2015, p. 377). Pour l’élève, l’implication des pairs dans ses apprentissages apporte un mode de régulation des apprentissages qui s’ajoute à celui de l’enseignant (sans pour autant s’y substituer). Pour l’enseignant, son processus d’enseignement se voit notamment changé par les informations supplémentaires que peuvent fournir les pairs au sujet de la progression de son élève. Pour une régulation efficace des apprentissages par la rétroaction, une pratique cohérente de l’évaluation des apprentissages (voir Tableau 1) et les sept “clés” présentées par Morissette et Voynaud (2002) peuvent servir de balises :
- “Porter un regard positif sur les connaissances de l’adulte en formation;
- Fournir à l’adulte en formation des informations qui le confirment et l’informent dans la réalisation d’une tâche tout en lui apportant le soutien nécessaire;
- Être effectuée le plus rapidement possible après l’action et être directement utilisable par l’adulte en formation;
- Être exprimée dans un langage descriptif, informatif;
- Permettre à l’adulte en formation de percevoir les effets tangibles de ses ajustements;
- Renseigner sur le progrès de l’adulte en formation par rapport à la réalisation de la tâche et non par rapport aux autres;
- Informer sur tous les éléments qui aident un adulte en formation à apprendre.”
En somme, pourrait sembler plus simple et efficace d’adopter une approche par fascicule, qui consiste davantage à répondre à des questions (CSE, 2018), mais donner de la rétroaction peut devenir d’autant plus efficace si les élèves et les enseignants y sont préparés et s’y engagent, puisqu’elle est une porte d’entrée à l’évaluation, comme le mentionne Yves Boucher dans cette entrevue qu’il m’a accordée.
La compétence à évaluer et la formation continue
Tel que présenté dans la Loi sur l’instruction publique, il est du devoir de l’enseignant “de prendre des mesures appropriées qui lui permettent d’atteindre et de conserver un haut degré de compétence professionnelle” (Gouvernement du Québec, 2019, article 22.6). La description détaillée des compétences professionnelles à atteindre et à conserver est présentée dans le référentiel québécois de la compétence enseignante (MELS, 2001). Au moment d’écrire ce texte, ce référentiel est constitué de 12 compétences (MELS, 2001). L’une des compétences de ce référentiel est d’évaluer la progression des apprentissages et le degré d’acquisition des compétences des élèves pour les contenus à faire apprendre. La compétence se décline en composantes et, au terme de leur formation initiale, il est attendu que les enseignants et enseignantes maintiennent un certain niveau de maitrise (voir Figure 1).
Figure 1. Composantes et niveau de maitrise attendu de la compétence enseignante à évaluer (MELS, 2001, p. 145)
À la FGA, la compétence à évaluer constitue un enjeu majeur dans l’implantation du nouveau curriculum puisque ce dernier invite “à un élargissement des pratiques évaluatives en vigueur depuis quelques décennies dans ce secteur de l’éducation, au bénéfice d’une meilleure compréhension des conditions organisationnelles, pédagogiques et didactiques favorisant les apprentissages significatifs et durables menant à la réussite des apprenants” (Nizet, 2014, 2016; Nizet et Leroux, 2015, cités dans Doucet et Thériault, 2019). Pour aborder cet enjeu, tel que présenté dans un rapport du Conseil supérieur de l’éducation, “il y a lieu de réunir dès maintenant les conditions nécessaires au développement continu des compétences professionnelles en évaluation chez les enseignants ” (CSE, 2018, p. 29). Ainsi, de nombreux mécanismes ont été mis en place afin de s’assurer la formation continue notamment nécessaire à l’implantation du nouveau curriculum : des colloques tenus par des associations (AQIFGA, TREAQFP, etc.), des équipes de professionnels chapeautées par le MEES (RÉCIT, Équipe-choc pédagogique, etc.), des initiatives locales (communautés de pratique, temps de libérations, etc.), etc.
Au sein de ces mécanismes de formation continue, le besoin d’avoir une compréhension commune des grilles de correction, par rapport aux échelles, et de leur fonctionnement en général est un exemple de sujet qui a été abordé, et ce, notamment par des séances de correction collective. En plus d’assurer une formation continue en adéquation avec les attentes du MEES, les mécanismes de formation continue en place devraient permettre de mieux distinguer l’évaluation de l’apprentissage et l’évaluation en aide à l’apprentissage (rétroaction), tout en assurant une utilisation adéquate et uniforme des grilles de correction prescrites. Il est toutefois difficile de réunir toutes les conditions de réalisation à ce développement professionnel. Par exemple, tenir des rencontres de travail en présence durant lesquelles les enseignants peuvent effectuer des corrections collectives peut être impossible pour des raisons humaines (p. ex., manque de suppléance) ou financières (p. ex., coûts élevés liés aux déplacements). À ce moment, l’utilisation des technologies peut être envisagée.
L’apport des technologies en contexte d’évaluation
Comme le présente le dernier Bulletin Langue et culture (2017), de nombreux outils numériques peuvent soutenir la rétroaction en aide à l’apprentissage rétroagir sur les productions des élèves, utiliser un système de suivi/carnet de notes, recourir aux questionnaires interactifs, utiliser le portfolio numérique, etc.)(Lacasse, Laine, Proulx, Gonthier et Poirier, 2017). Les TIC peuvent également favoriser le développement professionnel. Par exemple, les outils numériques peuvent être utilisés pour aider les enseignants à recevoir de la rétroaction par leurs pairs (Lacasse, 2017).
Également, à défaut de pouvoir suivre des formations en présentiel, en ligne, il existe plusieurs formations qu’il est possible de compléter de manière autonome. Par exemple, sur le portail de Campus RÉCIT, l’autoformation intitulée La rétroaction, une pratique au service de l’apprentissage (Lacasse, Poirier et Belhiba, 2019) présente une introduction du concept de rétroaction, des entrevues avec des experts et des pistes d’intégration des technologies afin de bonifier le processus d’évaluation en aide en apprentissage.
Cadre 21 offre également un parcours d’autoformation dans une progression en quatre temps qui vise notamment à comprendre « pourquoi la rétroaction est si importante pour les apprenants en s’appuyant notamment sur la neuroscience, d’apprendre à bien la formuler, d’identifier les moments les plus pertinents pour soutenir l’apprentissage et de réfléchir à la façon dont ses pratiques pédagogiques pourraient être bonifiées par un bon usage de la rétroaction » (Cadre 21, 2019). « Prendre le taureau par les cornes » signifie donc de s’attarder à l’évaluation, d’en discuter (p. ex., dans un groupe Facebook créé à cet effet). Sinon, les Après-cours FGA, dont la mission « est d’accompagner et de soutenir les acteurs de la formation générale des adultes dans leur démarche de formation continue et de viser l’intégration du numérique dans les différentes sphères de leur travail et le développement des compétences des élèves par l’intégration des TIC » (APC, s.d.), proposent des webinaires, des communautés de partage et des vidéos. Par exemple, le 14 mai 2019, un webinaire au sujet du programme Engagement vers la réussite abordait notamment le sujet de la préparation des élèves à l’évaluation (Maltais et Harvey, 2019).
S’engager dans son développement professionnel
L’évaluation et l’évaluation en aide à l’apprentissage sont des espaces de développement professionnel de choix. S’engager dans son développement professionnel est une responsabilité, mais cette responsabilité est partagée avec les personnes dont le mandat est de vous accompagner (directions, conseillers pédagogiques, etc.). Que ce soit pour la compétence à évaluer ou pour d’autres, de nombreuses ressources sont donc susceptibles de vous aider à atteindre vos objectifs professionnels. N’hésitez donc pas à me contacter si vous désirez vous engager dans le développement de l’une ou l’autre de vos compétences. Également, mon rôle n’est pas de vous évaluer, mais, si vous le désire, il me fera plaisir de vous donner de la rétroaction.
Références
Bulletin Langue et culture. (2017). Numéro 10. Automne 2017. Repéré à https://drive.google.com/file/d/1R1tgltdNr4xN37LfGTtISoR2WBLm02lW/view
Bédard, L. et Poirier, J. (1er décembre 2018). Rétroaction pédagogique – entrevue avec Laury Bédard. Repéré à https://www.ticfga11.ca/retroaction-laury-bedard/
Boucher, Y. et Lacasse, M. (1er décembre 2018). Rétroaction pédagogique – entrevue avec Yves Boucher. Repéré à https://www.ticfga11.ca/retroaction-yves-boucher/
Cadre21. (2019). Les Formations du Cadre21. Repéré à https://www.cadre21.org/les-formations-du-cadre21/
Conseil supérieur de l’éducation [CSE]. (2018). Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation : évaluer pour que ça compte vraiment. Repéré à http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/CEBE/50-0508.pdf
Conseil supérieur de l’éducation [CSE]. (2019a). Napperon. Évaluer pour que ça compte vraiment. Repéré à https://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/CEBE/Napperon_Crebe_16-18.pdf
Conseil supérieur de l’éducation [CSÉ]. (24 octobre 2019b). Évaluer pour que ça compte vraiment [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=5QB-cO1Ny6c
Curriculum. (17 septembre 2019). Dans Wikipédia. Repéré le 29 octobre 2019 à https://en.wikipedia.org/wiki/Curriculum
Doucet, M. et Thériault, M. (2019). L’adulte en formation…pour devenir soi. Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec
Drolet, A. (15 septembre 2018). Survivre à une réorganisation au travail. Repéré à https://www.lesoleil.com/affaires/survivre-a-une-reorganisation-au-travail-7b754025da05f38174a5a2a7284517b7
Fortier, M. (27 février 2019). Appel à une refonte du bulletin scolaire. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/education/548698/eliminer-le-releve-de-notes-au-primaire
Gouvernement du Québec. (2019). Loi sur l’instruction publique. Article 22, alinéa 6. 1988, c. 84, a. 22; 1997, c. 96, a. 10. Repéré à http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/i-13.3
Hattie, J. (2017). L’apprentissage visible pour les enseignants: Connaître son impact pour maximiser le rendement des élèves.
Lacasse, M., Laine, S., Proulx, J., Gonthier, M.-È., Poirier, M. (2017). La rétroaction en aide à l’apprentissage – Des outils numériques utiles. Repéré à www.lecture-ecole.com/bulletin/liens_no_dix/retroaction_aide_apprentissage.pdf
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